Bibliothérapie créative : Le super pouvoir des livres

Bibliothérapie créative : Le super pouvoir des livres

« Se laisser porter par le rythme d’une phrase, laisser l’hémisphère droit de son cerveau bricoler des pansements à partir d’une image, d’une métaphore, et se sentir mieux sans trop savoir pourquoi ». Formée à la bibliothérapie créative par Régine Detambel (auteure de Les livres prennent soin de nous), Isabelle Kichenin propose des ateliers autour de la lecture et de l’écriture. Pour la romancière, ancienne libraire, les livres ont un super pouvoir : « Celui de colmater nos failles presque malgré nous et de vivifier notre intelligence du cœur ». Interview.

Apressi : Qu’est-ce que la bibliothérapie créative ?

Isabelle Kichenin : La bibliothérapie créative, ou bibliocréativité, est une pratique élaborée par Régine Detambel, romancière et kinésithérapeute, autrice de « Les livres prennent soin de nous » (Actes Sud). La bibliothérapie, le fait d’avoir recours aux livres pour chercher un mieux-être, se développe depuis quelques années déjà. Mais alors que la bibliothérapie pratiquée dans les pays anglo-saxons « prescrit » des livres (souvent des livres de développement personnel et autres romans « feel good ») à lire seul chez soi, la bibliothérapie créative, elle, s’appuie sur des textes littéraires (romans, poésie, contes…), sur leurs effets thérapeutiques, pour initier un élan créatif, source de mieux-être.

Cette approche me convient mieux. D’abord parce que, en tant qu’ancienne libraire, je pense qu’un lecteur n’a besoin de personne pour trouver en rayons un livre de développement personnel. Ensuite parce que le texte littéraire est un formidable soigneur d’âme : Freud n’a-t-il pas écrit « Partout où je suis allé, un poète était allé avant moi » ? Enfin, l’atelier de bibliothérapie créative génère du lien entre les participants, et le lien c’est déjà du soin.

À qui est-ce destiné ?

À toute personne désireuse d’aller visiter ses émotions et de s’ouvrir aux autres. Il n’est pas nécessaire d’être un grand lecteur, ni même d’aimer lire, pour retirer les bienfaits de ces ateliers.

Comment se déroule un atelier ?

Chaque animateur conçoit ses ateliers en fonction de sa sensibilité et surtout du public auquel il s’adresse. J’associe la bibliothérapie créative à la méditation de pleine conscience et aux ateliers d’écriture dans le cadre de mes formations PLUMES-Écriture bienveillante©, visant à accompagner l’expression et la gestion des émotions. Je propose aussi des ateliers uniquement de bibliothérapie créative de deux heures. Durant ces séances, les participants sont invités à lire des textes à voix haute, à en écouter, à dessiner, couper, coller et écrire. L’échange entre les participants est primordial. Ça n’est pas un club de lecture. Nous nous attachons uniquement aux textes, aux émotions, impressions, souvenirs qu’ils procurent. Je ne communique pas les noms des auteurs pour permettre au texte d’exister pleinement. Comme en écriture bienveillante©, il s’agit ici de réveiller l’hémisphère droit de notre cerveau, celui de l’intuition, la créativité. Les exercices proposés sont extrêmement simples, mais nos vies actuelles sont tellement gouvernées par la logique, le raisonnement, l’anticipation parfois source de stress, que ces simples moments de pause et d’écoute de nos émotions face aux textes, puis de création spontanée, procurent un mieux-être.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de mettre ça en place à La Réunion ?

Lorsque j’ai conçu mon programme d’écriture bienveillante© début 2018, j’ai dès le départ associé la lecture d’extraits d’œuvres littéraires à la méditation et à l’écriture car il me semblait, pour les avoir moi-même expérimentés, que ces trois outils étaient faits pour s’entendre et que chacun d’eux contribuaient à cultiver la bienveillance. La lecture de fictions développe notre empathie, elle nous permet de nous mettre à la place des personnages dont nous suivons les aventures. En expérimentant mon programme auprès d’hommes détenus, puis de femmes victimes de violence, je me suis aperçue que les bienfaits de ces lectures à voix haute allaient encore plus loin. J’ai alors décidé de me former auprès de Régine Detambel pour développer ce volet bibliothérapie créative dans mes ateliers d’écriture bienveillante©.

Qu’est-ce que représente la lecture pour vous ?

La liberté ! J’ai lu beaucoup dès mon plus jeune âge. Petite, déjà, j’appréciais cette délicieuse sensation de vivre une expérience unique. Il y avait quelque chose de l’ordre de la magie pour moi dans le lien au livre. Les heures molles des vacances ennuyeuses devenaient trépidantes. Un monde se jouait dans ma tête, l’océan ne m’enfermait plus, et ce monde faisait parler mon corps ! Je pouvais ressentir la joie, la peur, la tristesse, l’amour, l’impatience, l’enthousiasme… Adolescente, puis adulte, les « petites musiques » des écrivains ont accompagné les aléas de la vie. Regarder ma bibliothèque m’évoque davantage d’émotions qu’un album photos.

Avec la publication de mon premier roman, j’ai découvert la sensation curieuse d’être lue et de voir mon texte prendre vie chez les autres. Cette expérience m’aide dans la préparation de mes ateliers de bibliothérapie car j’ai vraiment mesuré qu’un même texte pouvait provoquer des émotions très différentes d’un lecteur à l’autre.

En quoi la lecture peut-elle être thérapeutique ?

Les effets thérapeutiques de la littérature sont nombreux. L’histoire lue aux enfants le soir au moment du coucher les rassure, c’est comme si elle leur promettait un lendemain. Il y a un peu de ça aussi je pense dans la lecture d’un roman. La texture du papier, le bruit des pages tournées, ce lien solitaire. Il y a quelque chose de sensuel et réconfortant dans la lecture d’un livre. La lecture développe aussi notre créativité : aucun lecteur ne se fera le même « film » à la lecture du même texte, chacun se projètera ses propres images mentales. Je pense aux réactions virulentes de certains lecteurs de Virginie Despentes sur les réseaux sociaux, à l’annonce du choix de Romain Duris pour incarner Vernon Subutex à l’écran : L’acteur ne correspondait pas au personnage de leur propre film.

Parmi les effets thérapeutiques de la lecture, ses capacités à développer nos compétences pro-sociales, notre ouverture aux autres, m’intéresse particulièrement. Je l’ai constaté lors d’ateliers en prison où la lecture d’œuvres littéraires évoquant les émotions de victimes de violence a bouleversé certains stagiaires détenus. L’identification peut aussi apporter du soin : je ne suis pas seul.e à avoir vécu cette souffrance, je me sens compris.e, je mets à distance ma souffrance.

Au-delà du sens du texte, sa forme, sa musicalité, provoquent autant sinon plus d’effets thérapeutiques. Se laisser porter par le rythme d’une phrase, laisser l’hémisphère droit de son cerveau bricoler des pansements à partir d’une image, d’une métaphore, et se sentir mieux sans trop savoir pourquoi. C’est à mon sens le super pouvoir de la lecture, celui de colmater nos failles presque malgré nous et de vivifier notre intelligence du cœur. Et puis la lecture à voix haute mobilise notre souffle et avec lui notre corps tout entier. Lire pour les autres, c’est aussi rassembler nos morceaux.


Infos pratiques :
Une fois par mois le vendredi de 17h à 19h à Tamarun, la Saline. Groupe de 6 personnes.
Tarif : 30€
Réservation: contact@isabellekichenin.com
La page Facebook : www.facebook.com/wopeisabellekichenin/
Plus d’informations : www.isabellekichenin.com


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